Dès son plus jeune âge, Christian Urbita s’intéresse au dessin, à la sculpture et à la musique. Il découvre la lutherie alors qu’il s’était engagé dans des études scientifiques de physique, chimie. Aussitôt il décide d’entreprendre un « tour d’Europe » afin d’apprendre le métier de luthier. Il étudie d’abord en Allemagne (chez Bernhard Franke à Stuttgart et à Mittenwald et chez Rudolf Masurat à Lübeck), puis c’est en Angleterre, dans le prestigieux atelier de W.E. Hill & Sons à Great Missenden, qu’il restaure les grands violons de Crémone : Amati, Stradivarius, Guarnerius… Passionné, obstiné, il dessine, mesure ces instruments lors des restaurations avec au fond de lui le rêve de faire un jour uniquement de la création mais pas avant d’avoir compris l’origine de la sonorité exceptionnelle de ces grands instruments.

 

De retour d’Angleterre, il  crée son atelier à Cordes sur Ciel, berceau de sa famille, puis peu de temps après, il fonde l’atelier européen de luthiers et d’archetiers afin de recréer l’atmosphère d’échange des grands ateliers qu’il avait connu pendant sa formation. Président du festival de musique de Cordes sur Ciel, il organise des rencontres entre luthiers, archetiers, musiciens et compositeurs. Pendant quinze années se sont succédés à Cordes des luthiers et archetiers du monde entier autour de jeunes solistes et de compositeurs prestigieux.

 

Au début des années 2000, il décide de se consacrer uniquement à la fabrication du violon dont il entrevoyait une nouvelle approche, aussi bien dans ses proportions (car le violon actuel est le résultat de nombreuses transformations au cours des siècles) que sur le plan vibratoire. Il s’est enfermé dans son atelier pendant douze années pour repenser le violon actuel dans sa totalité car, il était persuadé que pour faire sonner parfaitement un violon il fallait qu'il soit parfaitement conçu. Il avait la profonde conviction que les réponses à toutes ses questions étaient dans la connaissance de la nature. « Chaque arbre, chaque création m’a apporté de nouveaux savoirs ».

Naissance d'une vocation

Il faut remonter à l’adolescence de Christian pour bien comprendre comment sa vocation de luthier a pu s’imposer à lui avec une telle intensité et une certitude jamais démentie. Alors qu’il prépare un baccalauréat de technicien – où il se révèle excellent dessinateur – il consacre tout son temps libre à la musique (il étudie la guitare classique), au dessin, à la peinture et à la sculpture sur bois.

Après son bac, il s’inscrit, sans réelle motivation, à l’université Paul Sabatier de Toulouse dans la section physique, chimie, technologie avec le projet de devenir ingénieur et il suit en parallèle des cours de guitare classique avec Marc Franceries. Il ne se résigne pourtant pas complètement à l’idée d’avoir un métier dans lequel ses trois passions – musique, dessin, sculpture – ne trouveraient pas à s’exprimer. Mais comment les réunir ? Existerait-il un métier qui lui permettrait de les faire exister ensemble et d’en vivre en même temps ? Telles étaient ses interrogations. Un soir qu’il est chez ses parents, il regarde à la télévision l’émission Le Grand Echiquier consacrée à M. Etienne Vatelot, le grand expert français en lutherie. Et là, c’est une véritable révélation !

Le voilà enfin ce métier qu’il appelait de ses vœux et qui va lui offrir le rare bonheur de réaliser la synthèse de ses trois passions ! Il ne se tient plus de joie et sans perdre plus de temps, il se met en quête dès le lendemain – nous sommes en octobre 1973 – de renseignements sur les formations possibles pour devenir luthier. Il ne se doute pas qu’il est en train de s’engager sur un chemin semé d’embûches et de petits miracles. Il découvre tout d’abord qu’il est trop vieux et trop diplômé pour prétendre à une formation dans l’école française de Mirecourt. Qu’à cela ne tienne ! Il se tourne vers l’étranger. Après de nombreuses démarches et de nombreux courriers, il sait, fin novembre, qu’une seule école est susceptible de l’accueillir : l’école internationale de lutherie de Mittenwald en Bavière. Les inscriptions au concours d’entrée qui aura lieu en avril sont encore ouvertes mais il découvre que pour avoir quelques chances de réussir le concours il doit parler couramment l’allemand et jouer correctement du violon. Il sait très bien qu’il n’a pas le temps de se mettre à niveau pour le concours de 1974, mais il décide néanmoins de s’y inscrire pour avoir une idée du niveau d’exigence des épreuves. Il arrête immédiatement ses études universitaires, s’inscrit dans des bureaux d’intérim pour des emplois temporaires en dessin industriel car ses parents, qui n’approuvent pas son projet, ont exigé qu’il se prenne totalement en charge, et il commence son apprentissage de l’allemand et du violon. Là, a lieu un double miracle : Il rencontre deux professeurs qui, touchés l’un et l’autre par le courage et la volonté qu’il manifeste, vont pendant deux ans lui donner des cours... gratuitement. Il s’agit de M. Hervé Rougier pour l’allemand et de M. Auguste Dauriac, violoniste à l’orchestre de chambre de Toulouse. Ce dernier, musicien passionné de lutherie, comprend la passion de Christian et lui apporte dès lors un soutien total.

 

En avril 1974, il se rend à Mittenwald pour affronter les épreuves du concours. Le bilan est extrêmement encourageant : malgré un allemand très balbutiant et un jeu au violon encore débutant, il se retrouve 1er sur la liste complémentaire. Il sait bien qu’il y a peu de chance qu’un élève admis se désiste mais fort de ce succès, il se remet au travail dès son retour en France. Il reprend les « petits boulots » et consacre toutes ses heures libres à l’étude du violon et de l’allemand. En avril 1975, il rejoint à nouveau à Mittenwald, avec la certitude cette fois- ci qu’il va réussir le concours. Lorsque les résultats sont affichés il connaît une terrible déception : il n’est pas sur la liste des admis, même pas sur la liste complémentaire. Persuadé qu’il ne pouvait s’agir que d’une erreur, il demande à être reçu par le directeur, M. Karl Roy, qui attendait sa visite. En effet, Christian avait obtenu les meilleures notes dans toutes les matières professionnelles, il ne pouvait donc qu’être admis, mais il n’avait pas eu la moyenne à l’épreuve d’allemand. Or la nouvelle législation bavaroise imposait au directeur de ne pas accepter un élève qui ne maîtriserait pas parfaitement la langue. Pour être définitivement admis à l’école Christian devait repasser uniquement l’épreuve de langue à la session suivante.

Il quitte l’Allemagne affreusement déçu et totalement désemparé. Il n’était cependant pas question pour lui de renoncer. Sans plus tergiverser, aidé par ses parents qui ont maintenant bien compris la vocation de leur fils, il prend la décision qui s’impose : aller vivre en Allemagne, seul moyen de parvenir à une bonne maîtrise de la langue. Il trouve un emploi dans un hôtel à Bad-Pyrmond où il va connaître des mois difficiles car il se retrouve en fait homme à tout faire dans cet hôtel, à faire surtout du ciment dans un équipe d’ouvriers Turcs et Yougoslaves. L’idéal pour apprendre la langue du pays ! Peu à peu cependant son sort s’améliore, il fait connaissance d’un groupe de jeunes allemands et fait de réels progrès. En janvier 1976, il reçoit une lettre du directeur de l’école qui le prévient que l’épreuve de langue est devenue « extraordinairement difficile ». Il insiste cependant pour passer l’épreuve où il obtient des résultats corrects mais encore insuffisants pour entrer à l’école. Il revient en France la mort dans l’âme. Mais il est opiniâtre et il n’est pas question pour lui d’abandonner son projet de devenir luthier. Il décide alors d’apprendre le métier en autodidacte et se lance tout seul dans l’étude de la fabrication d’un violon même s’il reste profondément déçu de n’avoir pas accès à une vraie formation.

Quelques mois plus tard, à sa grande surprise, il reçoit une lettre d’un luthier de Stuttgart, Maître Bernhard Franke qui lui propose un poste dans son atelier. Pour lui c’est un miracle auquel il ne comprend rien mais deux jours plus tard il se présente à l’atelier et découvre alors que sa venue est liée à un quiproquo : M. Franke avait demandé à l’école de Mittenwald les coordonnées d’un jeune luthier diplômé de l’école et il se retrouve avec un apprenti admis au concours d’entrée à l’école. Malgré cette erreur, touché par l’histoire de Christian et par sa détermination, Maître Franke accepte de prendre Christian à l’essai pendant un mois puis, à l’issue de cette période, il accepte de signer un contrat d’apprentissage avec lui. En parallèle, le directeur de Mittenwald s’engageait à le prendre neuf semaines par an dans son école pour la formation théorique. Ouf, il était parvenu au bout de ses peines et pouvait enfin commencer une véritable formation ! Il s’était réjoui trop tôt, car un nouveau coup de théâtre allait tout remettre en question : il apprend par le directeur de l’école qu’une nouvelle législation bavaroise rendait impossible sa formation théorique à Mittenwald car elle ne pouvait plus accueillir d’élèves étrangers, or elle est toujours « école internationale ». Là, c’en était trop ! La colère l’emporte sur le désespoir. Il demande à un avocat de se saisir de son affaire et il intente un procès contre le gouvernement de Haute Bavière... Qu’il gagne ! Cette fois-ci, c’est sûr, il peut enfin débuter son apprentissage.

 

Trois ans plus tard, il obtient son diplôme d’état de luthier mais, comme il a le projet de créer un jour son propre atelier de fabrication, il sait qu’il doit encore parfaire sa formation. Il reste deux ans de plus chez Maître Franke puis il reprend donc son bâton de pèlerin. Il effectue tout d’abord un stage de deux mois chez un Maître archetier M. Richard Grünke à Bubenreuth, puis travaille pendant un an à Lübeck chez M. Rudolf Massurat, Maître Luthier et enfin, en 1980, il a la chance d’être accepté dans l’atelier de W.E. Hill &Sons, un des plus prestigieux ateliers de lutherie d’Angleterre. Pendant trois ans il y acquiert tous les savoir-faire nécessaires à la haute restauration d’instruments anciens en réparant des Stradivarius, des Guarnerius, des Amati...et se forme ainsi à l’art délicat de l’expertise.

Après dix années consacrées à sa formation à l’étranger, il se sent capable d’affronter l’étape décisive : la création de son propre atelier de fabrication qu’il décide d’installer à Cordes sur Ciel, son berceau familial, en 1984. Mais là... C’est une nouvelle aventure qui commence.

 

Y. SERENO