LES VIOLONS DE L’ABBAYE

 

Dès son adolescence, Christian Urbita s’intéresse au dessin, à la sculpture et à la musique. Il découvre la lutherie alors qu’il s’était engagé dans des études scientifiques de physique et chimie. Aussitôt il décide d’entreprendre un « tour d’Europe » afin d’apprendre le métier de luthier. Il étudie d’abord en Allemagne, puis c’est en Angleterre qu’il côtoie, en les restaurant, les grands violons de Crémone : Amati, Stradivarius, Guarnerius… Passionné, obstiné, il dessine, mesure, ces instruments lors des restaurations avec au fond de lui le rêve de faire un jour uniquement de la création mais pas avant d’avoir compris l’origine de la sonorité exceptionnelle de ces grands instruments.

 

De retour d’Angleterre, il crée son atelier à Cordes sur Ciel, berceau de sa famille, puis peu de temps après il fonde en 1997 l’atelier européen de luthiers et d’archetiers afin de recréer l’atmosphère d’échange des grands ateliers qu’il avait connue pendant sa formation. Président du festival de musique, il organise des rencontres entre luthiers, archetiers, musiciens et compositeurs. Pendant quinze années se sont succédés à Cordes des luthiers et archetiers du monde entier autour des tout jeunes Renaud Capuçon, Jérome Pernoo, Jérome Ducros, Lise Berthaud, Nicolas Dautricourt, Laurent Korcia, Sarah Nemtanu, Julien Chauvin, Pierre Fouchenneret... pour les premières générations parrainées par Augustin Dumay, et des compositeurs aussi prestigieux qu’Olivier Greif, Heuri Dutillieux, Gyorgy Kurtag, Philippe Hersant, Thierry Escaich, Thomas Adès, Christian Lauba, Jonathan Harvey, Michaël Levinas …

 

Au début des années 2000, il décide de se consacrer uniquement à la fabrication du violon dont il entrevoyait une nouvelle approche, aussi bien dans ses proportions (car le violon actuel est le résultat de nombreuses transformations au cours des siècles) que sur le plan vibratoire. Il s’enferme dans son atelier pendant treize années et va repenser le violon actuel dans sa totalité car, dit-il : « Il n’est pas possible de faire parfaitement sonner un violon qui ne serait pas parfaitement conçu » Il a aussi la profonde conviction que les réponses à toutes ses questions sont dans la connaissance de l’arbre et de la préparation du bois.

 

Pendant cette période de recherche, il produira peu de violons dont il sera pleinement satisfait car, dit-il : «A chaque arbre, à chaque violon, j’apprenais quelque chose… » L’entretien qui suit est né de mon admiration pour l’engagement que Christian Urbita a manifesté dans sa recherche au service du violon et pour la singularité de sa démarche.

 

ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN URBITA

 

Y. Sereno : Pouvez-vous me parler des deux arbres que vous avez trouvés dans l'abbaye St Pierre de Bèze.

 

Christian Urbita : C’est grâce à un ami, que j’ai trouvé un érable sycomore et un épicéa dans le parc de cette abbaye. Fait extraordinaire : ces deux arbres ont poussé l’un à côté de l’autre ! Comme l’a écrit Paracelse «  La nature ne dissimule pas, mais ne montre pas non plus, elle se contente de laisser échapper des signes ». J’ai d’abord été attiré par l’érable, un arbre puissant, très grand, dont le tronc avait un diamètre de près de quatre-vingts centimètres et qui possédait toutes les qualités requises pour faire un violon. J’ai ressenti une chose difficile à traduire en mots : cette émotion qui accompagne toute vraie rencontre. Quand je la ressens, je sais que j’ai trouvé l’arbre pour mes violons et s’instaure alors une vraie relation entre lui et moi. Plus surprenant encore, l'image de Renaud Capuçon, auquel m'unit une complicité et une amitié de plus de vingt ans, m'est alors venue à l'esprit, comme si dans cet arbre se trouvait un violon qui lui serait destiné.

 

Puis, en regardant les arbres alentour, j’ai vu qu’à quelques mètres de lui se dressait un épicéa qui, lui aussi, possédait toutes les qualités exigées et semblait être en lien avec l’érable. De nos jours, cela peut paraître étrange de parler ainsi des arbres, mais il ne faut pas oublier que je vais justement, comme avec un ami, passer de longs moments avec eux avant même de leur donner forme.

 

Y.S. : Ce que vous me racontez semble bien extraordinaire. Cela arrive-t-il souvent de trouver ces deux essences dont vous avez besoin au même endroit ?

 

CH.U. : C’est très rare car l’érable est un arbre solitaire, alors que l’épicéa pousse de manière plus collective. C’est parce qu’il s’agissait d’un parc que ces deux arbres, plantés depuis plus de cent ans, ont pu se côtoyer. Ce qui est plus rare encore, c’est que les deux arbres aient les caractéristiques nécessaires à la fabrication d’un violon. Cette situation est si exceptionnelle qu’il a été décidé de faire un concert, dans l’abbaye même, où Renaud Capuçon jouera le premier violon issu de ces deux arbres.

 

Y.S. : Combien de violons pensez-vous pouvoir fabriquer avec ces deux arbres ?

 

CH.U. Je fabrique très peu de violons avec un même arbre car tous les aléas de son existence laissent des traces dans son bois qui le rendent inexploitable (les branches de jeunesse, les déformations des fibres, l’orientation…). Il me faut tout débiter sur maille pour trouver les fournitures répondant à mes exigences. Sur les deux cents demi-tables tirées de l’épicéa et les cent fonds tirés de l’érable, je ne retiendrai qu’une dizaine de tables et de fonds qui, en plus, devront être compatibles entre eux.

 

Y.S. : À partir de la date de coupe, combien de temps vous faut-il pour qu’un instrument puisse être joué ?

 

CH.U. : J’ai coupé ces deux arbres en 2015 et le premier concert avec ce premier violon aura lieu à l’abbaye le 24 août 2018. Les étapes importantes de la fabrication sont aussi liées aux saisons et aux lunaisons, ce qui fait que, pour m’accorder au rythme du bois, il me faut une année entière pour fabriquer un violon. Une année, ça peut paraître bien long, mais c’est pourtant le temps nécessaire si je veux obtenir un violon de qualité.

 

Y.S. : Vous utilisez donc du bois quasiment vert ? Le problème ne viendrait-il pas alors du fait que l’on ne trouve plus aujourd’hui des bois assez vieux, assez bons ou assez secs ?

 

CH.U. : Pendant longtemps on a pensé que les vieux instruments sonnaient bien parce que le bois utilisé était très vieux ; or, la dendrochronologie nous a prouvé que les bois utilisés dans le passé avaient très peu de temps de séchage. Ce qui ne signifie pas qu’on les fabrique avec du bois « vert ». La problématique ne se limite pas au temps de séchage du bois. C’est beaucoup plus complexe. Mes recherches m’ont conduit à choisir moi-même les arbres sur pied, qu’il s’agisse de l’érable sycomore ou de l’épicéa afin de connaître certains critères du bois tels que son orientation, son sens de croissance, sa place dans le tronc, son taux vibratoire, toutes choses difficiles à déceler lorsque le tronc est déjà découpé en petites planches. Toutes ces informations me permettront de préparer, transformer le bois afin qu’il entre en résonance avec les vibrations des cordes lorsqu’il deviendra violon. Les arbres que j’ai coupés se trouvaient aussi bien dans le Jura, les Alpes, en Bosnie que dans les Pyrénées. Il m’a fallu apprendre à les choisir…

 

Y.S. : Je vous coupe, mais ces critères ont-ils tant d’importance pour la qualité de l’instrument ?

 

CH.U. : J’en suis convaincu. La position des planches dans l’arbre détermine la qualité du bois. La sève qui lui permet de croître donne une empreinte au bois propre à chaque arbre. Ce mouvement, cette force vitale, dépendant du terrain, des aléas climatiques, de la position de l’arbre, de l’ensoleillement, de l’altitude, créent une polarisation qui rassemble l'énergie du bois et lui donne une orientation particulière. La difficulté est de parvenir à conserver l’empreinte de la sève de l’arbre une fois le tronc coupé.

 

 

Y.S. : Justement, comment parvenez-vous à conserver cette empreinte après la coupe de l'arbre ?

 

CH.U. : Cette empreinte, la conservation et la qualité du bois dépendent du moment choisi pour la coupe de l’arbre qui d’ailleurs déterminera ensuite le traitement des tables et des fonds. Il est donc important que je choisisse moi-même ce moment. Si vous cueillez, au bon moment une feuille, elle se conservera verte, telle que vous l’avez cueillie, alors qu’une feuille à l’automne sur l’arbre va se dessécher et mourir. Il en est de même pour l’arbre qui, certes, ne meurt pas mais se met en dormance dès l’automne. On sait que la sève est liée aux cycles solaires et lunaires. Il faut donc le couper au moment où la sève l’irrigue pleinement, quand la puissance énergétique est à son apogée. J’ai constaté qu’à la pleine lune les feuilles sont plus vertes, cela doit être aussi pris en compte pour le moment de la coupe. Cependant il faut savoir que couper un arbre plein de sève n’est pas sans problème.

 

Y.S. : Donc, vous coupez les arbres les nuits de pleine lune ?

 

CH.U. : Bien sûr que non ! Ça peut sembler bien romantique d’abattre un arbre la nuit mais ça n’est pas bien pratique. L’heure de la pleine lune se situe souvent en pleine journée et son attraction est la même pendant un certain temps. La nuit, l’arbre se repose et moi aussi !

 

Y.S. : Comment faites-vous pour stabiliser un arbre plein de sève ?

 

CH.U. : C’est en effet le problème le plus délicat. Car durant le séchage du tronc proprement dit et plus tard celui des planches, ce bois, du fait qu’il soit plein de sève, reste sensible aux saisons et aux lunaisons. Il faut suivre attentivement son évolution, réagir très vite et même ne pas hésiter à le déplacer en fonction de la température et du degré d’hygrométrie. Il ne doit sécher ni trop vite ni trop lentement afin d’éviter les micro fentes ou le bleuissement. Le moment venu, je traite les différents éléments du violon avec des plantes qui vont me permettre de le nettoyer, de le stabiliser et de le nourrir pour maintenir toutes ses qualités. Un bois ainsi traité est beaucoup plus stable qu’un bois qui aurait séché pendant de nombreuses années. Le bois n’étant jamais tout à fait le même, il est difficile de mettre au point une recette immuable. Seule l’expérience permet de trouver la bonne démarche. Dans la nature il y a une loi, celle de la vie, mais pas de vérité…

 

Y.S. : Vous évoquiez tout à l’heure la polarisation du bois. Pourriez-vous m’en dire davantage ?

 

CH.U. : Ce que j’appelle polarisation du bois est en fait une sorte de champ magnétique dans le bois, que je ressens dans les mains et qu’on peut assimiler à ce qui se passe dans un aimant : cette approche est plus sensorielle que scientifique. La fabrication du violon est directement liée à cette polarisation qui induit une circulation d’énergie dans tout le violon qui va permettre au bois d’entrer totalement en résonance. Elle permet de conserver les épaisseurs initiales des fonds et des tables des maîtres anciens sans perte de puissance ni de qualité de son.

 

Y.S. : Comment avez-vous découvert l’influence des plantes sur le bois ?

 

CH.U. : Nombreuses sont les personnes qui connaissent les effets des plantes sur le corps humain. C’est en travaillant avec certaines d’entre elles pendant de nombreuses années que je suis parvenu à choisir celles qui me permettent le meilleur traitement du bois. J'en arrive aujourd'hui à pouvoir choisir les plantes qui s'imposent au bois que j'utilise et au son que je veux obtenir.

 

 

Y.S. : Pensez-vous avoir ainsi retrouvé les traitements des anciens ?

 

CH.U. : Il serait vain de chercher la « formule secrète » utilisée par les grands maîtres du passé. Les arbres et les plantes ne sont plus les mêmes, le climat est différent, nous sommes différents, en trois cents ans, tout a changé. Pour autant, on ne peut pas dire qu’actuellement les arbres sont de meilleure ou de plus mauvaise qualité : il n’y a pas de mauvais arbres, il n’y a que de mauvais artisans…De plus, nous disposons aujourd’hui d’outils et de machines qui me permettent d’assurer la totalité du processus de la coupe des arbres (abattage, débardage, transport et sciage) ce qui était, je pense, impossible à réaliser pour les luthiers du passé qui étaient obligés de faire appel aux forestiers, qui préparaient le bois conforme à leur demande au prix d’un énorme travail.

 

Y.S. : Si je comprends bien, il ne serait plus possible de faire des instruments de la qualité de ceux de vos grands prédécesseurs ?

 

CH.U. : Je suis persuadé que l’on peut aujourd’hui fabriquer des instruments d’une aussi belle qualité que ceux des anciens et capables de durer aussi longtemps. Mais ce n’est pas en les copiant servilement, ni en recherchant les secrets du passé que nous y parviendrons. Ce qu’il faut, c’est savoir allier la tradition et les nécessaires adaptations au changement d’époque. Le plus difficile c’est d’oublier les certitudes et de ne pas se conformer à un modèle. Il n’est pas possible d’essayer d’égaler les instruments des anciens en les copiant et c’est pourtant malheureusement ce qui s’est passé pendant trop longtemps en lutherie. De là vient peut-être le désintérêt des musiciens pour certains instruments modernes qui ne sont pas marqués par la personnalité des luthiers qui, au cours des siècles, ont fait preuve de créativité. On peut les comprendre car qui s’intéresserait aux toiles d’un peintre qui toute sa vie aurait fait des copies des grandes œuvres du passé ou aux œuvres d’un compositeur qui plagierait Bach ou Mozart ? On ne doit pas se contenter de reproduire les œuvres du passé, cependant, une véritable création est rarement comprise immédiatement et demande du temps pour être acceptée.

 

 

Y.S. : C’est pour cela, n’est-ce pas, que vous vous consacrez maintenant uniquement à la création alors que vous avez été formé à la restauration dans les plus grands ateliers d’Europe ?

 

CH.U. : Je me suis consacré pendant 25 ans à la restauration des instruments anciens pour bien m’imprégner des savoir-faire des maîtres du passé. Cette étape m’a permis de bien comprendre à quel point certains de ces instruments - je pense notamment aux Amati, Stradivarius ou aux Guarnerius del Gesu - quand ils n’ont pas été trop endommagés par le passage du temps, avaient quelque chose d’extraordinaire. Pendant toutes ces années-là, j’ai fabriqué des instruments du quatuor mais sans jamais parvenir à la qualité sonore des grands instruments. J’ai compris alors que ce n’était pas en les copiant que je parviendrai à créer des violons contemporains d’une telle qualité, mais que je devais m’engager dans une autre voie de recherche pour parvenir à ce but. C’est pourquoi, depuis 2003, je me consacre exclusivement à la création du violon.

 

Y.S. : Quels sont les fondements de cette recherche ?

 

CH.U. : Le violon est si complexe à fabriquer qu’il exige une approche bien spécifique qui requiert tout mon temps et toute mon attention, car il faut qu’un instrument qui a une si petite caisse de résonance arrive à être aussi puissant qu’un violoncelle ou qu’un piano. Actuellement, pour obtenir cette puissance on a été conduit à amincir fortement les épaisseurs de la table et du fond, mais on le fait alors au détriment de la qualité du son et de la stabilité du violon. Là réside toute la difficulté : allier la qualité et la puissance du son. Or, les grands violons ont à la fois ces deux critères tout en ayant des tables et des fonds très épais. D’ailleurs, suite aux modifications apportées au XIXème siècle, un grand nombre de ces violons ont dû être amincis pour qu’ils retrouvent une bonne vibration. C’est cela qui m’a conduit à m’interroger sur l’influence de la qualité et de la préparation du bois dans la mise en vibration du violon et m’a engagé dans cette longue recherche qui explique aussi ce choix exclusif. Si je voulais conduire les mêmes recherches sur l’alto et le violoncelle, il me faudrait plusieurs vies !

 

Y.S. : En quoi vos méthodes de fabrication se différencient-elles de celles des anciens luthiers qui ont fait la preuve de leur savoir-faire ?

 

CH.U. : Ce fut l’objet de mes toutes premières tentatives au cours desquelles j’ai fait de nombreuses copies en reproduisant la forme et les épaisseurs originelles des anciens violons, mais le résultat n’a pas été satisfaisant : je n’arrivais pas à mettre le violon en vibration. J’ai donc revu les épaisseurs de la table et du fond, mais je perdais alors en qualité de son. Ce qui prouve bien l’importance du bois et de sa préparation. Les anciens n’ont laissé aucune trace de la manière dont ils choisissaient le bois ni comment ils le préparaient. De toute façon, il m’est clairement apparu qu’il fallait repenser le violon dans sa globalité pour créer celui d’aujourd’hui en gardant les bases des violons anciens tout en tenant compte des modifications introduites au XIXème siècle.

 

Y.S. : À qui destinez-vous vos instruments ? Avec tout l’investissement et le temps qu’exige votre méthode de fabrication, je suppose qu’il ne s’agit pas de simples débutants, mais que vous vous adressez plutôt  à des solistes ?

 

CH.U. : Je m’adresse surtout à des violonistes qui comprennent mon approche et y sont sensibles. Pour mettre tous les éléments du violon en harmonie j’ai dû le repenser dans sa totalité : j’ai dû tout harmoniser et donc changer la longueur de la corde vibrante (voir ma conférence : Longueur de la corde vibrante pour le violon d’aujourd’hui). C’est pourquoi je travaille essentiellement sur commande pour des violonistes qui veulent être en symbiose avec leur instrument. A chaque personnalité d'interprète correspond un violon unique. Lorsque cette rencontre se produit, s’installe alors entre le musicien et moi une belle relation. 

 

Y.S. : On a longtemps pensé que la sonorité des Stradivarius et des Guarnerius del Gesu s’expliquait par la qualité de leur vernis. Qu’en pensez-vous ?

 

CH.U. : Le rôle du vernis est de protéger et d’embellir le violon. Il a bien sûr une influence sur le son, mais il n’est qu’un paramètre aussi important que la qualité de bois, son traitement, la forme des voûtes, le réglage… Il n’est en rien l’unique cause de sa sonorité. D’ailleurs la plupart des Stradivarius et des Guarnerius del Gesu ont un très beau vernis mais si tendre que sur la plupart des instruments une grande partie n’a pas résisté à l’usure provoquée par le jeu des musiciens. En revanche, ce qui s’est mieux conservé, c’est l’extraordinaire couleur de leurs fonds de bois qui, outre sa dimension esthétique a participé à la conservation de la sonorité du violon. On a pensé qu’elle était liée à la patine du temps, aussi certains luthiers n’ont pas hésité à essayer une multitude de procédés pour retrouver cette couleur du bois. Mais le chauffer, utiliser des acides ou autres procédés, rend le bois fragile et très cassant. Ils pensaient bien faire mais ces procédés nocifs ont nui à la bonne conservation de leurs instruments. Pour ma part, je pense que ces fonds de bois étaient déjà très beaux dès l’origine et que le passage du temps a eu peu d’incidence sur leur beauté ou sur leur sonorité. Là encore, plutôt que de chercher à imiter la couleur actuelle de ces vieux violons, il faut mettre en valeur la beauté intrinsèque des bois actuels.

 

Y.S. : Aujourd’hui diriez-vous que vous êtes arrivé au but que vous vous étiez fixé ?

 

C.H.U. : En ce qui concerne mon travail de création, je peux dire que j’ai atteint mon but : me consacrer exclusivement à la fabrication du violon. Pendant les vingt années où j’ai présidé le festival de musique de Cordes sur ciel, j’ai rencontré de nombreux jeunes violonistes, dont la plupart sont devenus de grands solistes, qui m’ont aidé à évoluer dans mon appréciation de la sonorité d’un instrument. Pour le son, comme pour la fabrication, il ne faut pas, toujours et encore, chercher à comparer et à retrouver dans les violons actuels le son des Stradivarius ou des Guarnerius del Gesu, qui, on l’oublie trop souvent, a été modifié au cours des siècles. On ignore ce qu’était leur sonorité initiale mais on peut penser qu’elle était différente car ils étaient conçus pour une autre musique sur l’interprétation de laquelle on s’interroge toujours. Le violon doit être puissant pour que le musicien ne soit pas obligé de « forcer » le son, et bien timbré afin de répondre à la sensibilité et à l’interprétation du violoniste. Il s’agit avant tout d’une rencontre car le violon est à l’instrumentiste ce que l’interprétation est à la mélodie. Les luthiers contemporains sont, par les échanges qu’ils peuvent entretenir avec les interprètes, les plus à même d’offrir cette rencontre puisqu’ils sont en capacité de répondre à leurs besoins et à leurs exigences. 

 

Fait à Cordes sur ciel en 2018.